Introduction

Steve Portigal : Bienvenue Judd.

Judd Antin : Merci, Steve.

Steve : C’est un plaisir de parler avec vous. Commençons comme on le fait toujours par les grandes lignes. Voulez-vous vous présenter ? Parlez-nous un peu de vous, de ce que vous faites, de votre rôle.

Judd : Bien sûr, avec plaisir. Donc je suis le Directeur de Recherche en Expérience Utilisateur (User Experience). L’équipe de recherche en expérience utilisateur chez Airbnb est une équipe qui était appelée auparavant « Insights », mais ce que nous faisons réellement c’est de la recherche en Expérience Utilisateur. Nous sommes imbriqués dans le service conception de l’entreprise donc nous avons des designers, des responsables de stratégie de contenu, des managers produits, des ingénieurs et des analystes en tant que partenaires et l’équipe compte 17 personnes actuellement. Nous constituons un groupe plutôt diversifié et c'est notre volonté. Tout le monde est en quelque sorte intégré dans les équipes, et travaille directement sur des produits au jour le jour pour les visiteurs et les hôtes en permanence. Voilà.

Steve : C’est bien. Et avec ce type d’introduction, on pourrait remplir l’entretien simplement en détaillant chacune des choses que vous venez d’évoquer. Mais laissez-moi revenir sur quelques points. Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est Airbnb ?

Judd : Bien sûr. Voyons voir si je peux résumer un peu. Airbnb est un marché où se rencontrent des gens qui ont de la place dans leur habitation avec des visiteurs qui en recherchent. Nous offrons l’opportunité de voyager de manière plus locale. Donc je pense que vous savez c’est – vous savez qu’Airbnb a été l’un des enfants modèles de l’économie collaborative mais je pense que nous, nous le voyons plus comme une opportunité de mettre en relation les hôtes et les visiteurs, pour créer des expériences plus authentiques et locales. Locales dans le sens où vous voyagez dans un lieu qui est potentiellement dans un quartier résidentiel. Vous logerez peut-être dans une chambre d’amis, dans un endroit où votre hôte sera là ou non et vous découvrirez sa ville de son point de vue à lui et vous recevez des conseils de votre hôte sur ce qu’il y a a faire dans le quartier. Donc je pense que ce qui rend Airbnb vraiment magnifique et unique c’est que c’est cette vision-là du voyage, c’est-à-dire que vous arrivez à San Francisco, avec le Golden Gate, Alcatraz et la Coit tower, qui sont des points importants et dont on sait à partir de recherches que tout le monde veut les voir, mais si vous ne quittez jamais Union Square et Fisherman’s Wharf il serait difficile de dire que vous avez vraiment eu un aperçu de ce qu’est vraiment San Francisco. Airbnb permet vraiment d’avoir cet aperçu.

Steve : Vous avez entamé cette belle explication en mettant en perspective ce qui peut être considéré comme une perception globale autour d’Airbnb – vous avez dit « enfant modèle de l’économie collaborative ». Y a-t-il quelque chose qui… – évidemment pour tout le monde dans l’entreprise – tout le monde dans toutes les entreprises comprend la différence entre la façon dont ils sont perçus et… - je pense à vous, dans le rôle que vous avez et dans ce que fait votre équipe. Avez-vous affaire à ça ? – je ne sais pas si c’est plutôt un fossé ou un delta – le monde nous conçoit comme ça. Vous savez, sortir et parler aux gens pour essayer de comprendre, je ne sais pas…

Judd : Ah oui.

Steve : Vous acquiescez donc je vais vous laisser répondre.

Airbnb de l’extérieur et de l’intérieur

Judd : Tout le temps. Nous passons tout notre temps à parler à des visiteurs et des hôtes d’Airbnb. Nous travaillons de façon concertée au travers de voyages et de recherche à distance pour sortir de la bulle de la baie San Franciscaine, par exemple, parce que, vous le savez, Airbnb est très présent ici. Mais ce que ça nous permet de faire c’est voir ce qu’est l’expérience quotidienne du voyage ou de l’accueil Airbnb pour les gens et je pense que cela implique une grosse dose de discussion réelle. Vous savez on a une mission – vous savez que notre slogan en tant qu’entreprise est « Belong anywhere » (Chez vous, ailleurs), et c’est quelque chose en lequel nous croyons tous profondément. Nous souhaitons que les gens puissent avoir une expérience de voyage qui leur fournisse une expérience d’accueil réellement authentique quelque part où ils peuvent commencer à se sentir chez eux et avoir ce sentiment d’appartenance à l’endroit. Mais nous apprenons beaucoup à propos de comment cette vision se traduit en quelque sorte dans la réalité dans la vie quotidienne d’un hôte, ou dans la vie quotidienne d’un visiteur en voyage.

Pour les hôtes, cela peut vouloir dire que… vous savez, nous mettons en avant la diversité des hôtes. Donc pour beaucoup d’hôtes nous parlons au… - l’argent est vraiment l’une des raisons principales pour lesquels ils font cela, mais ils ressentent également un lien important avec l’hospitalité. Ils aiment faire l’expérience de rencontrer les gens qui viennent chez eux depuis le monde entier et ils parlent de cela comme l’une de leurs motivations. Pour les voyageurs, de la même façon, nous constatons que trouver un endroit pas cher où dormir est souvent… je veux dire, soyons... – cela ne fera pas partie de notre vision chez Airbnb, mais c’est une réalité lorsque les gens pensent à Airbnb et qu’ils voyagent. C’est l’une des motivations qui les incite à se rendre sur notre plateforme. Et donc je pense que l’une des choses géniales avec l’équipe de recherche, c’est qu’on peut réaliser cette dose de discussion réelle. On peut dire par exemple : d’accord, ça, c’est important. Cette vision est importante. Cette mission est importante. Mais parlons des vies des voyageurs et des hôtes et de ce qui est important pour eux.

Steve : Comment caractérisez-vous, je ne sais pas, je peux seulement demander ça en utilisant une métaphore appropriée qui… et je connais la synthèse ou le débat … vous savez : voilà la perception du public, voilà ce que les gens impliqués… voilà ce que les discussions réelles nous disent. Voilà nos aspirations en interne ou notre moto ou peu importe : parlez-moi de la façon dont toutes ces choses se rencontrent. Vous devez concilier ce que les gens croient, les aspirations, ainsi que ce que le monde dit et ce que les discussions réelles avec des personnes réelles elles aussi renvoient.

Judd : Je pense qu’il y a un heureux équilibre entre notre moto, ou l’aspect « mission » de ce que fait la compagnie, et la réalité, les discussions réelles. Ce que nous faisons de façon très volontaire c’est probablement de rappeler aux gens dans ce bâtiment que nous ne représentons en aucun cas la majeure partie des gens de la communauté Airbnb. Et c’est là que, je pense, la discussion réelle est importante car si l’on part de certaines suppositions basées sur ce qui nous semble évident ou intuitif ici dans ce superbe bâtiment de San Francisco à SOMA, on va se planter. On va se planter pour la Californie, pour les États-Unis et certainement pour le monde, la vaste – la majorité de nos affaires ne se font pas aux États-Unis. Donc je pense que c’est l’un des rôles les plus importants de la discussion réelle, juste pour dire… Ce n’est pas si difficile, je ne pense pas que nous ressentions de réelle tension entre les missions et les valeurs et l’expérience vécue au quotidien par les visiteurs et les hôtes. Nous devons juste rappeler aux gens que la vie quotidienne de la plupart des gens ne ressemble en rien aux nôtres et donc il faut juste garder cela en tête lorsque nous prenons des décisions liées au design ou au produit.

Steve : J’aime le fait que ce ne soit pas une tension. Ces choses peuvent bien fonctionner ensemble. Toutes les entreprises ne sont pas les mêmes et peut être qu’ailleurs vous avez observé que cela représentait un stress plus important.

Judd : Oui

Steve : Mais, pourquoi ? Pourquoi cela fonctionne bien ici ? Que se passe-t-il ?

Judd : Voici ma théorie. Ma théorie c’est que c’est parce que nous sommes une compagnie de voyage et voici la liste des choses dont nous n’avons pas à nous préoccuper : les publicitaires, la monétisation de l’engagement. Ce que cela signifie c’est que dans la mesure où nous pouvons permettre aux gens de trouver l’endroit parfait pour eux, là où ils veulent voyager, les sortir de notre produit digital pour les amener dans le monde du voyage, c’est un succès. Vous savez ce que je veux dire. Et donc je pense que nous n’avons pas à faire beaucoup de suppositions sur ce qui motive cette forme de comportement digital. Nous devons permettre aux gens de voyager et je pense que cela attire un certain type de personnes qui… - et vous voyez, combiné avec notre mission du « Belong anywhere », nous pensons qu’il est facile d’avoir ce genre d’empathie pour le monde, parce que voyager est tellement… - en tant qu’expérience c’est en quelque sorte plein d’empathie. C’est comme comprendre le monde du point de vue de quelqu’un d’autre.

En tant qu’équipe de recherche nous nous concentrons sur ça également. C’est un peu « hé, équipe produit, laissez nous vous aider à comprendre le monde d’un autre point de vue, le point de vue des visiteurs et des hôtes qui ne sont pas du tout comme vous ».

Steve : C’est formidable. Donc pour votre entreprise, c’est donner la chance aux gens d’expérimenter quelque chose différemment de ce qu’ils ont expérimenté, en d’autres termes le voyage est une façon de créer une culture pour laquelle il y a une faim de comprendre – une envie et une faim de comprendre.

Judd : Voilà.

Steve : Le monde est différent de ce que nous supposons.

Judd : Tout à fait. Et je pense que c’est un gros argument commercial pour les chercheurs qui veulent travailler chez Airbnb parce que vous savez, ils pensent… - le voyage est une expérience tellement évocatrice. Vous voyez si vous prenez la … - je pense que la personne lambda qui réfléchit à ce qu’ont été dans sa vie passée les 10 expériences les plus éducatives, les plus instructives, les plus inspirantes pour eux, une bonne partie d’entre elles seront probablement des expériences de voyage. Donc les yeux des gens sont ouverts. C’est émotionnel. C’est intellectuel. Et donc en tant que sujet de recherche, vous voyez, faciliter ce genre d’expérience de voyage, c’est très attirant pour la plupart des chercheurs à qui nous parlons. Cela fait vraiment du bien. Et cela semble vraiment réel. Vous savez je pense que parfois en travaillant dans les produits digitaux on peut penser « à quoi ça mène » ? Vous savez, quelle expérience est-ce que je crée réellement ? Nous n’avons pas ce problème car le voyage… Nous avons tous eu des expériences de voyage qui sont réellement un genre de transformation.

Exemples de sujets de recheche

Steve : Donc quelles sont les expériences qu’ont les chercheurs ? Pouvez-vous nous donner un contexte ou des situations dans lesquels des chercheurs sont impliqués – est ce que les chercheurs voyagent pour étudier le voyage, par exemple ?

Judd : Oui. Donc nous avons plutôt pas mal voyagé, pas autant que ce que j’aimerais, mais nous avons commencé à voyager, premièrement pour comprendre – sortir de cette bulle de la baie San Franciscaine. Nous passons quelques jours dans les maisons de nos hôtes. C’est une chose que l’on fait beaucoup. Et donc une chose que nous n’avons pas encore réellement fait c’est par exemple un genre de « travel along project » (voyage accompagné). Vous savez, comme si vous, chercheur chez Uber, vous pourriez apprécier un trajet avec un passager ou un chauffeur Uber. Nous n’avons pas fait ce genre ce voyage accompagné. Je ne sais pas, ça semble un peu invasif et bizarre. Mais nous passons pas mal de temps dans les maisons des hôtes et l’une des raisons pour lesquelles nous faisons cela est qu’il est très difficile d’avoir une image globale du quotidien d’un hôte, des défis qu’ils rencontrent lorsqu’ils accueillent les visiteurs et lorsqu’ils utilisent nos produits, sans passer du temps avec eux. Découvrir quelle est leur routine dans le contact avec les visiteurs – vous savez, organiser, nettoyer, procéder à la remise des clefs, toutes ces choses du quotidien. C’est vraiment difficile de découvrir tous ces mécanismes sans y être. Et cela peut être très difficile d’acquérir le contexte, le fond et l’empathie dont nous avons besoin concernant les motivations des hôtes sans une conversion en face à face approfondie, et où serait-il mieux d’avoir cette conversation que dans leur foyer ?

Steve : Bien. C’est marrant en étant assis ici de vous entendre faire référence à cela en disant « leurs foyers ». Bien sûr, ce sont leurs foyers mais j’ai seulement été un visiteur, pas un hôte. Donc le lieu auquel vous faites référence, cet environnement, c’est l’endroit où je reste. J’oubliais que c’était la maison de quelqu’un d’autre. À vous écouter dire que, même la langue, qui je pense est probablement un point clé – c’est probablement le point clé pour vous de les considérer en tant que foyers.

Judd : Tout à fait. Non, je pense que c’est vrai. Et vous savez j’ai beaucoup réfléchi à la langue que nous utilisons. Vous voyez, je pense qu’en recherche – je ne connais pas beaucoup de gens dans l’expérience utilisateur qui utilisent le mot « sujets ». Nous parlons principalement de participants et nous utilisons – vous savez, parfois nous parlons d’utilisateurs. Vous pouvez… - vous savez nous pouvons débattre sur « est-ce une bonne ou une mauvaise chose », mais j’ai toujours plutôt envie de me tourner vers visiteurs et hôtes – les choses que nous faisons pour les visiteurs et les hôtes parce que c’est un rappel du fait que … - c’est similaire à la façon dont vous avez dit « ah c’est vrai, c’est le foyer de quelqu’un ». C’est comme voilà : c’est un visiteur, c’est un voyageur et c’est un voyageur qui débarque dans l’espace de quelqu’un d’autre, dans leur foyer où ils vivent et partagent cet espace ou non.

Et d’un autre côté, comment dire… c’est un hôte. Non seulement l’hospitalité et l’accueil sont des choses qui comptent beaucoup pour nous en tant qu’entreprise, quelque chose que nous essayons de promouvoir via nos produits et sur lesquels nous faisons des recherches, mais c’est également un foyer. Vous savez, c’est très personnel. Encore une fois, c’est quelque chose d’intéressant à étudier pour les chercheurs car l’une des choses les plus importantes dans une vie est l’endroit où on se repose. Et l’idée de laisser quelqu’un d’autre dans ce foyer peut paraître… - c’est là où les problèmes de confiance entrent en jeu que c’est intéressant parce que cela implique tellement de dimensions. Vous avez le sentiment de la confiance insufflée en Airbnb en tant que marque, en tant que plateforme, la façon dont nous facilitions les relations entre les visiteurs et les hôtes, et ensuite vous avez ce face à face très personnel où je vous laisse entrer dans ma maison si je suis un hôte ou bien où je me rends dans votre maison si je suis un visiteur. De nombreuses personnes, quand je parle d’Airbnb, me parlent de confiance, de sécurité et autres. La seule chose que je dirai à ce sujet c’est que les problèmes graves sont tellement rares que cela me redonne une confiance énorme en l’humanité. Vous voyez, le nombre … des millions et des millions de nuitées se passent dans des Airbnb et le nombre de problèmes graves qui arrivent alors que les gens se font confiance et que les visiteurs accèdent aux foyers est juste minuscule. De notre point de vue c’est trop, un seul c’est trop.

Steve : Bien sûr.

Judd : Mais cela restaure réellement ma foi en l’humanité et je reconnais que nous sommes constamment à la recherche des meilleurs moyens de mener nos recherches et de faciliter cela. Créer de formidables, riches, confiantes interactions entre les visiteurs et les hôtes.

Steve : Je vais encore revenir sur une chose à laquelle il est utile de réfléchir, c’est que ces deux groupes de personnes sont connectés, en opposition à la simple location d’un lit et d’une salle de bains pour la nuit.

Judd : Au final, il y a des visiteurs qui voient ça comme un lit et une salle de bains. Vous voyez, c’est un lit et une salle de bain moins chers qu’à l’hôtel. Mais pas tous, probablement pas la majorité. Vous savez l’aspect hospitalité, celui d’entrer dans un voisinage, de vivre comme un local, c’est très puissant et je pense que c’est une motivation réelle pour Airbnb.

Ce qui est sexy pour un chercheur

Steve : Je souhaite que l’on replonge dans un autre terme que vous avez utilisé et peut être vous amener à développer cela un petit peu. Vous avez dit une ou deux fois que certaines sortes de problèmes ou de sujets sont sexy pour les chercheurs. Cela nous amène à nous poser la question de ce qui plait aux chercheurs, ce qu’ils aiment faire. Donc que veut dire sexy pour les chercheurs ?

Judd : Oui, donc d’après mon expérience, quand je dis sexy je veux dire deux choses. Première chose, un sujet de recherche bien charnu, sur lequel vous vous sentez confiant et vous pouvez passer des années à creuser. Un sujet qui a de nombreuses dimensions, qui n’est pas facile, qui représente un défi. Je pense que la plupart des chercheurs trouvent le challenge sexy. Par exemple c’est quelque chose qui nous demande de concevoir le problème en profondeur et de comprendre comment le transposer dans le design, le produit et la communication. C’est est le premier aspect du sexy. Et ensuite la seconde chose sexy pour un chercheur est je pense le fait qu’ils puissent directement influencer le produit avec leur travail. Je parle à de nombreux candidats et ce que j’entends sur comment la recherche est structurée dans leur entreprise, ce que j’entends c’est « ils ont dû revendiquer un budget, une étude, et ça leur a pris plusieurs mois, et une fois l’étude terminée ils ont dû la présenter à leur hiérarchie 3, 4, ou 5 niveaux au-dessus pour faire en sorte que ce directeur convainque un autre directeur de dire au chef de projet de le mettre sur la feuille de route ». Et ça me fait mal au cœur. Vous savez, c’est la pire façon de faire de la recherche. Et donc je pense que les chercheurs trouvent ça sexy quand ils n’ont pas à faire ça, ce qui est une des choses formidables chez Airbnb, c’est-à-dire que nous n’avons pas une situation parfaite mais nous avons des chercheurs installés en tant que partenaires, avec les designers, les chefs de projet, les gestionnaires de contenu, les analystes, les ingénieurs, et ce à chaque étape du cycle de production. Ils ont leur impact en étant là chaque jour pour parler directement de ce que nous devrions construire, comment nous devrions le construire et pourquoi ? Est-ce qu’on le fait bien ? Développement itératif, launch and learn , et on recommence. Et ça, c’est sexy pour un chercheur.

L'organisation de l'équipe de recherche

Steve : Peut-on parler un peu plus de ce système ou de comment les gens sont organisés ? En gros il y a des personnes avec différents rôles qui font équipe ?

Judd : Bien sûr. Donc oui, nous avons un modèle intégré pour la recherche où – que j’opposerais aux modèles des services où l’on trouve une sorte d’organisation centrale qui émet les requêtes et envoie un chercheur sur le terrain. Notre modèle est un modèle intégré dans lequel un chercheur si situe dans le produit. Admettons que le produit soit la fonctionnalité de recherche. Ce chercheur est physiquement présent à côté, et si possible même entre le chef de produit et le designer, l’ingénieur, l’analyste. Et j’accorde une grande importance à cette présence physique parce que je pense que c’est là que se joue l’action. J’ai eu des conversations avec des chercheurs auparavant durant lesquelles ils me disaient « Il faut que j’aille à cette réunion » et moi « quelle réunion ? ». Et ils me disaient « Cette réunion, où toutes les décisions sont prises ». Et en général, je cherche un peu et découvre que cette réunion n’existe pas. Cette réunion, elle a eu lieu entre son bureau à elle et son bureau à lui à 13h45, et elle a eu lieu parce que, et bien, je suis côte à côte avec quelqu’un là tout de suite. Voilà pourquoi il est si important d’avoir cette personne présente, physiquement là, pour tout ce qui se passe dans le cycle de production. Et cette personne trouve des partenaires dans toutes les autres fonctions. Donc bien sûr avec les designers – nous avons des relations très fortes avec les designers, les chefs de projet. Nous avons une super équipe d’analystes de données ici. Des ingénieurs, bien sûr, des gestionnaires de contenu. Tout le monde est en quelque sorte à la table, une équipe qui collabore vraiment et qui essaie de créer un super produit.

Steve : Alors, j’ai une question bête et on peut dire qu’il n’y a pas de questions bêtes…

Judd : Il y a des questions bêtes.

La place de la recherche dans le processus

Steve : Merci. Merci de confirmer ma bêtise. Vous savez, les cycles de produit, le processus de développement se concentre sur différentes tâches qui sont lourdes et difficiles à plusieurs moments. Donc je vais juste demander ça le plus bêtement possible : que fait le chercheur lors de ces différentes étapes ? À quoi est-ce que cela ressemble pour eux ?

Judd : Bien sûr, oui. Donc je suppose que cela commencerait avec un stage de découverte ou de formation où on essaie de trouver ce que nous devrions concevoir. Quels sont les problèmes ? À quoi ils ressemblent ? Pourquoi ce sont des problèmes ? Donc souvent cela laisse place à une enquête qualitative approfondie. On adore le fait d’avoir un modèle où l’on peut faire des enquêtes qualitatives approfondies puis faire un suivi avec un travail très rigoureux de sondage à grande échelle pour vérifier la prévalence. Donc ce genre de combinaison est vraiment très puissant pour nous, si bien que nous pouvons dire « voilà une compréhension riche, approfondie, contextuelle de ces problèmes, nous en savons également beaucoup sur leur fréquence et nous pouvons les segmenter un petit peu de façon à ce qu’ils soient pertinents pour nous. » Donc super, on a fait ça. Ok, maintenant nous avons peut-être une feuille de route pour notre produit. Ou nous avons décidé de concevoir quelque chose d’une certaine façon et les designers ont avec un peu de chance participé à ces recherches depuis le tout début. Très souvent ils se trouvent dans les salles d’observation et viennent lorsqu’on visite les foyers. Ils participent aux retours sur les guides d’entretien et les sondages, tout ça. Mais ensuite je pense qu’ils s’activent vraiment au moment où les répercussions sur le design sont révélées par l’étude et que nous commençons à faire des croquis et schémas d’idées et de la prospective, et je suis un grand adepte de l’essai sur prototype à basse fidélité en tant que façon de choisir le cap, en quelques sortes. Donc à ce moment-là le chercheur procède probablement à une étude continue qui au départ imitera peut-être le prototype Framer, une sorte de voie dorée, du genre du Magicien d’Oz1, avec des choses qui sont un peu plus riches et interactives. Il fera plusieurs études utilisateurs avec cela. Et ensuite, à un moment donné du cycle, nous répétons ces actions et nous finissions par passer à l’ingénierie. Encore une fois, les ingénieurs sont souvent présents tout au long du processus, mais là c’est l’ingénierie difficile et sexy qui débarque. À ce moment-là, le peaufinage du design peut si besoin se poursuivre, à moins qu’il y ait un projet concurrent sur lequel le chercheur travaille. Mais nous arrivons à un point où nous avons un prototype fonctionnel que nous pouvons tester. On le peaufine avant le lancement, on le lance. Et là on peut parler à de vrais utilisateurs en milieu réel, et nous obtenons une formidable validité écologique, et ensuite on repart à 0 en quelque sorte, mais ce n’est pas grave. Peut-être qu’on a travaillé sur quelque chose, qu’on l’a amélioré, mais un nouvel ensemble de problèmes s’est révélé. Il n’y a pas de design parfait, et donc le boulot du chercheur n’est jamais terminé.

Steve : C’est super. J’ai envie d’applaudir votre récit. Donc tout le monde est occupé à faire tout ça. Encore une fois, je suppose que c’est en quelque sorte le fruit du modèle intégré. Dans un modèle de services vous n’auriez probablement pas les ressources pour faire cela, ou bien vous choisiriez de faire les choses différemment.

Judd : Oui, je veux dire, - donc voici …- la façon dont je conçois ce compromis c’est… - le gros avantage du modèle de services pour moi c’est que vous pouvez vraiment fournir à la personne une expertise parfaite sur un produit – sur un projet de recherche demandé. Nous nous devons d’avoir recours à un modèle un peu plus généraliste. Donc les gens dans mon équipe sont en général des experts en quelque chose. Peut-être qu’ils sont plus intéressés et qu’ils ont plus d’expérience avec les journaux de bords, ou les sondages. Ils font un peu de stats. Vous savez on a une équipe très « multi-méthodes ». Mais ils doivent être généralistes parce que peu importe – si vous êtes intégrés, n’importe quel besoin de recherche vous est plus ou moins jeté à la figure, et il faut pouvoir s’en occuper. Il faut collaborer avec un autre chercheur, qui lui est un expert. Si c’est en quelque sorte à la limite de vos compétences, il faut travailler avec l’analyste. Mais cela requiert ce modèle généraliste.

Et puis l’autre point qui je pense est important c’est que dans le modèle de services – comme je… - on ne passe pas beaucoup … - le temps que l’on passe sur les rapports varie beaucoup, mais ce n’est pas, en général, une grosse proportion de leur travail. Je pense aux heures passées sur de magnifiques Keynote ou PowerPoint comme le prix à payer lorsqu’on se trouve dans un modèle de services et non pas dans un modèle intégré car quand un chercheur est intégré, le chef de projet, le designer, l’ingénieur, ils étaient là tout le long du travail. Ils ont vu le projet à chaque étape. Ils étaient dans la salle d’à côté et vous leur faisiez un compte rendu après chaque session ou à la fin de chaque jour. Ils ont participé à la réalisation du diagramme KJ2, et donc on peut toujours faire une présentation vidéo, mettre en place quelques clips. Il se peut qu’on fasse un Keynote, mais ce n’est pas le livrable principal. Ils ont reçu l’information tout le long du travail. C’était un va et vient constant. Je pense juste que c’est tellement plus efficace, et ça permet à un chercheur de se constituer une expertise produit réelle dans un secteur plutôt que de le parachuter de projet en projet tout le temps.

Steve : Y a-t-il des moyens de – comme vous avez dit il faut qu’ils soient généralistes. Mais vous avez des effectifs divers, des gens avec des vécus et des expériences différentes. Y a-t-il une forme de pratique communautaire que vous obtenez spécifiquement dans ce modèle centralisé ? Par exemple les chercheurs s’assoient ensemble et ils partagent des choses, mais quelle est la structure que vous pouvez créer à partir de ce modèle ?

Judd : Je pense que nous devons travailler juste un petit plus dur pour cela parce que la vision périphérique n’est pas nécessaire ici, comme cela le serait si vous aviez une équipe et que plus ou moins tout le monde savait qui était attelé à quel projet à quel moment. Et honnêtement nous n’avons encore pas la solution miracle. Je n’ai jamais fait partie d’une équipe de chercheurs où nous n’avions pas un problème avec ce type de partage de l’information et c’est très important que nous essayions de faire mieux. En fait nous discutons de ça en ce moment même parce que, raison numéro un, nous souhaitons cette communauté de pratique. On veut que le feedback afflue. On veut que les gens trouvent cette superbe synergie des questions de recherche. On ne veut pas que des gens travaillent sans le savoir sur un projet similaire ou réinventent la roue. Et toutes ces choses requièrent cette forme de vision périphérique sur le travail de tout le monde, ou la capacité d’obtenir cette information rapidement. D’un autre côté vous avez ce genre de problème classique d’action collective où il est trop couteux pour une personne de fournir cette information, ou de l’utiliser d’ailleurs, et donc le modèle entier tombe en morceaux, car il ne peut être plus fort que son maillon le plus faible. Donc il nous faut trouver un moyen de créer un modèle allégé. Et pour être honnête la façon dont nous procédons actuellement c’est via Trello. Je ne sais pas si vous avez déjà utilisé Trello ? C’est un outil de technicité modeste dans le sens où c’est l’analogie la plus proche – Alex Schleifer, notre Vice-Président Design et mon patron, appelle ça « un tableau digital ». Il y a des colonnes, des cartes et des colonnes. Donc une équipe produit a une colonne et une carte représente un projet en cours. Et dessus il peut y avoir un lien vers un brief de recherche ou un guide d’entretien, mais c’est aussi simple que ça. Et c’est tout. Et les gens peuvent vérifier Trello pour découvrir ce qu’il se passe. Ils peuvent le mettre à jour. Ils peuvent placer une carte dans la pile « terminé ». Je ne pense pas que ce soit la solution parfaite, mais vous pouvez voir ça comme un problème réel sur lequel nous travaillons.

Steve : Donc tout le monde peut voir les recherches en cours ? Ou les recherches terminées ? Vous pouvez regarder dans la pile « terminé » et voir ce qui a été fait ?

Judd : Tout à fait. Alors, on bosse toujours dessus, mais l’idée c’est que les choses terminées récemment restent dans la pile « terminé ». Au final elles sont en quelque sorte archivées et elles vivront dans une sorte de dépôt de recherche ailleurs. Mais pour les recherches en cours ou récemment achevées, c’est une sorte de guichet unique pour toutes les voir. Nous allons essayer cela et voir comment ça fonctionne. Je ne pense pas que ce soit la solution parfaite, mais c’est un point sur lequel, si l’on écoute l’équipe, il faut que l’on travaille dur. D’une part, cela permet ces collaborations et cette pollinisation croisée et d’autre part cela nous aide à nous sentir comme une équipe et comme si nous avions cette communauté de pratique, et c’est quelque chose que nous souhaitons promouvoir activement.

Steve : Cela semble être une autre … - c’est la tension du modèle distribué – pardon, du modèle intégré vs le modèle centralisé. Non pas que le modèle centralisé ait tout pour lui car, vous le savez, produire des livrables – je ne sais pas combien de fois j’ai rencontré … - j’ai eu – j’ai été prestataire extérieur d’une entreprise et à certains moments des gens dans cette entreprises changeaient de rôle et ne savaient rien sur le projet, et devaient chercher en dehors de l’entreprise pour trouver l’information ou récupérer les livrables d’un prestataire, moi, qui datent d’il y a un an. Donc ce n’est pas comme si… - ce n’est pas comme si le modèle centralisé marchait toujours dans ce cas. Les livrables ont une durée de conservation limitée sur les étagères et puis ils disparaissent.

Judd : Bien sûr.

Steve : Donc c’est de gestion des connaissances que nous sommes en train de parler ?

Judd : Tout à fait. Vous avez le détenteur de la mémoire institutionnelle, il y en a toujours. Mais bien sûr voyager d’équipe en équipe pour en quelque sorte faire de la pollinisation croisée est une bonne chose, mais nous faisons probablement ça environ tous les 18 mois à 2 ans. Je pense que tout est un compromis. Je choisis d’optimiser de façon à parfaitement positionner un chercheur pour qu’il ait un impact et pour qu’il exprime une opinion, une constante opinion, dans le processus de production. Le compromis pour cette décision est que nous devons travailler plus dur sur la partie communauté de pratique. Heureusement nous avons un groupe de chercheurs très passionnés et collaboratifs chez Airbnb qui se consacrent à cela, qui travaillent activement là-dessus, et nous sommes assez petits pour pouvoir avoir – vous savez, suffisamment petits physiquement pour qu’on puisse se voir tous en l’espace de 30 secondes et nous pouvons nous réunir dans une salle de taille raisonnable et partager des idées régulièrement.

La progression individuelle et collective

Steve : Y-a-t-il … organisez-vous des rencontres régulières ou certains types d’activités qui facilitent cela ?

Judd : Bien sûr. Nous sommes au milieu d’un effort concerté sur le partage d’information. Donc nous nous réunissons tout le temps. Nous nous réunissons chaque lundi matin pour un standup, qui est une sorte de tour de table où tout le monde dit les deux choses sur lesquelles ils travaillent cette semaine-là. Nous nous réunissons tous les mardis pour ce que je pourrais appeler une réunion d’équipe. Nous entrons dans le vif du sujet. Nous parlons de recrutement et d’emploi. Nous avons souvent des sujets spéciaux. Nous parlons de croissance. Nous avons – croissance dans le sens de la croissance d’une équipe ou de la croissance individuelle. Nous parlons de la vision globale du produit et des choses en cours liées au contexte du design. Nous avons aussi quelque chose que Kathy Lee, une de chercheurs dans l’équipe, a mis en place qui s’appelle le Shop Talk. C’est en quelque sorte un événement du vendredi durant lequel les gens peuvent boire une bière et faire une présentation qu’ils auraient fait à leur propre équipe produit aux autres chercheurs. Et nous sommes aussi en train de mettre en place des partages de compétence. Je demande en quelque sorte que tout le monde dans l’équipe – en gros mon modèle pour cela était en quelque sorte, dans ma mémoire de doctorant – donc quand on a un doctorat on devient le plus grand expert au monde sur un tout petit bout de sujet dont tout le monde se moque et ensuite on écrit une dissertation, qui si on a de la chance sera lue par son tuteur et puis on en a plus ou moins terminé. Mais, alors c’est clairement la raison pour laquelle je ne suis pas à l’université, mais l’une des choses formidables avec ce modèle je pense c’est que l’on se forge sa propre niche qui devient une carte de visite et c’est quelque chose que je demande à chaque chercheur de mon équipe de faire. Bien sûr il y a cette base de référence et nous devons être de rigoureux, magnifiques généralistes, mais quelle est la chose que vous êtes le seul à maitriser en tant que chercheur ? Quelle est votre carte de visite ? Quelle est le sujet sur lequel vous voulez vraiment ingurgiter toute la matière que vous trouverez, aller à des séminaires, participer à des workshops et lire des livres et ensuite avant de vous en rendre compte vous écrivez des livres dessus et vous organisez les séminaires et puis vous organisez des réunions techniques pour le reste de l’équipe. Je pense juste que si vous avez une équipe où tout le monde a cette chose unique, un aspect méthodologique ou pratique, de communication ou peu importe, et qu’ils sont passionnés par le développement de ce savoir en une capacité unique et qu’ils s’impliquent tous à le partager avec les autres, c’est ça mon modèle d’équipe qui va croitre individuellement et croitre en tant qu’équipe. Pour moi ça a l’air génial et on travaille… - vous savez je ne pense pas que nous soyons parfaits à cet égard, mais c’est ce à quoi on aspire.

Steve : Quels sont ces choses dans votre équipe – les sujets des différents chercheurs, « c’est leurs trucs » ?

Judd : Il y a des sujets méthodologiques – tout simplement comme les meilleures méthodes de sondages. Donc nous avons quelqu’un dans l’équipe, Janna Bray, qui a comme truc d’être vraiment généreuse et qui fait entendre sa voix pour améliorer les compétences de tout le monde sur les sondages. Nous avons un autre chercheur, Steffenn Kuhr, qui est un vrai passionné des recherches évaluatives rigoureuses dans lesquelles vous essayez d’intégrer autant d’objectivité que possible aux tests d’utilisabilité ou tests utilisateurs et il a des idées très intéressantes sur comment faire cela qu’il a affiné tout au long de sa carrière. Il y a aussi des gens qui souhaitent apporter des aspects qui sont un peu plus éloignés en quelque sorte de notre noyau de méthodologie de recherche, comme étant leur sauce spéciale. Donc par exemple, Natalie Tulsiani est une chercheuse de l’équipe qui a récemment organisé un workshop sur la gestion de la salle d’observation. Donc le sujet c’est, en tant que chercheur, gérer le groupe de personnes qui prend part à une étude. Ça me tue. Je trouve ça tellement génial. Vous voyez ce que je veux dire, j’ai travaillé avec un chercheur de chez Facebook qui, son truc c’était le théâtre d’improvisation. Vous voyez elle pensait que l’impro pouvait faire de vous un chercheur de meilleure qualité et je pense qu’elle a raison. Donc ça c’était son truc. Elle était passionnée par ça. Je pense que ça pourrait ratisser large, mais j’adore l’idée que tout le monde dans l’équipe ait son truc et qu’ils poursuivent cela et qu’ils entrainent tout le monde avec eux.

Steve : C’est super. Supers exemples. Alors l’idée de la passion individuelle est un moteur dans ce cas.

Judd : Oui, je veux dire, regardez, les recherches montrent qu’en général quand quelqu’un arrête de progresser dans son travail il se sent dans l’impasse et va parti. Donc d’un point de vue purement pratique, c’est dans mon intérêt en tant qu’individu qui essaie de construire une équipe de faire en sorte que tout le monde progresse dans des domaines qui les passionnent. Mais je pense également que c’est le chemin le plus court vers des gens qui construisent en quelque sorte le jeu des autres pour devenir meilleurs. Tout le monde améliorant le jeu de tout le monde. Nous ferons… – c’est le chemin pour devenir une équipe de recherche de classe internationale et je pense que c’est à la fois exiger d’un individu qu’il s’améliore perpétuellement et exiger de cette personne qu’ils soient généreux et qu’ils collaborent avec les chercheurs autour d’eux pour faire la même chose.

Steve : Tout à fait. Donc en tant que membre de cette équipe je reçois énergie et rétribution pour être capable de suivre cette passion, mais je reçois aussi des autres.

Judd : Voilà.

Steve : Je reçois d’eux, donc je me grandis et me développe en tant que membre de cette équipe.

Judd : Et si vous faites ça, je pense, développer cette communauté de pratiques est plus facile. Vous savez il est facile de voir d’où ça vient et comment ça se développe.

Steve : Donc vous avez parlé d’agrandir votre équipe. Pouvez-vous revenir dans le temps et nous décrire un peu l’histoire, l’évolution ? D’où venez-vous ? Où souhaitez-vous aller ?

Judd : Bien sûr. Alors je dois admettre que mon histoire chez Airbnb est un peu courte. J’y suis depuis la mi-Mai, ce qui fait environ 6 mois, et j’étais le 10ème chercheur. Cette semaine nous en avons 17. Donc on s’agrandit rapidement, mais nous ne nous agrandissons pas pour des raisons de croissance, on s’agrandit car – je pense car le modèle intégré implique une sensibilisation importante à la recherche, que l’équipe fait du bon travail, et c’est juste que je reçois plus de demandes que ce qu’il nous est possible de traiter. Donc j’ai besoin de plus de chercheurs, et c’est un magnifique problème à avoir.

Steve : Donc il y a des équipes qui n’ont pas de chercheur intégré qui…

Judd : Tout à fait.

Steve : Cette équipe a besoin de quelqu’un.

Judd : Tout à fait et nous accélérons notre recrutement, ce qui est à mon avis nécessaire parce qu’il y a pas mal d’équipes qui n’ont pas de référent, ceci étant – je veux dire, passer de 0 à 1 est en quelque sorte une amélioration technique infinie, voilà. Et en ce qui concerne le type de recherche que nous menons c’est vraiment spectaculaire en ce moment. Et je pense que c’est – alors on essaie de tirer parti de ce point d’inflexion. De nombreuses équipes de recherche dans l’industrie fonctionnent avec un ratio, d’accord. Donc un ratio de designers par ingénieurs, de chercheurs par designers, par exemple. Donc ils peuvent dire par exemple 3 pour 1, c’est le bon ratio. 1 chercheur pour 3 designers, ou 1 chercheur pour 3 designers et chefs de projets ensemble. Et ce qu’on essaie de faire c’est de prendre de l’avance par rapport à ça puis de faire marche arrière. La raison pour laquelle nous souhaitons dépasser ça c’est parce que nous avons… Je pense que nous en sommes au moment précis où avoir un regard de chercheur dans toutes ces équipes qui sont apparues et qui n’ont pas de chercheur va nous être démesurément précieux. Donc nous essayons de concentrer la croissance à ce moment précis puis nous ralentirons.

Steve : Alors, vous décrivez les équipes qui apparaissent, cela veut dire que le produit évolue et se développe – ce que vous fournissez en tant qu’entreprise et les différentes pièces que vous créez pour faire cela…

Judd : Oui.

Steve : …évoluent et se développent de telle façon que quelque chose sur lequel on travaille en ce moment n’était peut-être pas traité à un autre moment, et voilà une nouvelle équipe ?

Judd : Voilà. Ou, vous savez, et je ne … - je ne suis pas un expert en croissance des entreprises ou des équipes produits, bien sûr, mais dans celle-ci, vous voyez, je pense qu’alors que le développement du produit muri il y a deux choses qui se passent. D’abord, de nouveaux produits apparaissent. Pour les autres, le produit existant, la part du gâteau grossit, d’accord, donc la masse de travail … - elle devient assez spécialisée pour que l’on créer une nouvelle équipe. C’est juste trop. Donc là où l’on avait qu’une seule équipe auparavant, qui par exemple s’occupait de tout ce qui touche aux panneaux de commande et aux outils des hôtes, par exemple, et bien maintenant nous avons atteint une telle échelle et une telle complexité du produit qui font que plusieurs axes de travail importants se dégagent. Et ensuite ils les répartissent, et les chefs de projets, les designers, les chercheurs et les analystes se spécialisent dans ces secteurs. Et donc je pense … - c’est quelque chose qui est arrivé, en quelque sorte, la multiplication de nouvelles équipes chez Airbnb, et à ce moment-là avoir un chercheur à la table est vraiment crucial. On ne veut pas perdre ce dynamisme et il y a assez de travail important – beaucoup de ces gens sont arrivés d’autres équipes où ils avaient un chercheur, et ils se disent « Hé, je bosse sur ce nouveau truc, où est mon chercheur ? ». J’adore ça. J’adore recevoir ces demandes. « Pourquoi n’y a-t-il pas un chercheur dans la salle pour ça » Je veux dire, je n’ai pas à en dire plus que ce que je souhaite, mais je pourrais m’attaquer à ce problème tous les jours.

Steve : Essayez-vous de recruter des gens avec des rôles précis en tête ?

Judd : La plupart du temps, non. Ce que je veux en général c’est engager de talentueux généralistes et ce à cause de ce que je considère comme la vertu principale de ce modèle intégré et parce que je ne veux pas créer – et bien, je ne veux pas créer un environnement dans lequel il y a des gens qui ne sont réellement heureux ou qui ne sont bien adaptés que pour un type de travail, parce que les choses changent. Le produit évolue. La demande en recherche se déplace si bien que, d’accord, j’ai besoin de déplacer certains chercheurs pour qu’ils abordent ce nouveau secteur du produit et je ne veux pas, en général, avoir de chercheurs qui à mon avis seront déçus où dont les capacités ne vont pas correspondre à ce nouveau secteur s’il faut qu’ils travaillent sur de nouvelles choses dans 6 mois ou un an.

Steve : Donc vous vous servez de la demande pour connaitre la taille que votre équipe doit atteindre, mais ce n’est pas vraiment pour remplir des trous, mais plutôt pour développer vos capacités.

La recherche utilisateur pour le design d’outils internes

Judd : Voilà. C’est du développement global de capacités. Je pense que si nous poursuivons une chose en tant qu’équipe, c’est la diversité. Je veux une équipe pleine de gens avec des méthodes différentes, des perspectives différentes, des bagages différents. Nous venons juste d’embaucher ce talentueux chercheur, Andrew Sweeney, qui va être notre premier chercheur à Portland. Portland, c’est là où une grande partie de notre équipe Expérience Client se trouve, et donc Expérience Client ce sont les gens qui répondent au téléphone. Si vous avez un problème avant ou pendant le séjour, ils sont là pour ça et ils possèdent une suite complète d’outils internes qu’ils utilisent pour gérer ces problèmes, pour localiser l’information sur des dossiers déjà en cours. Ces outils ne sont pas aussi efficaces qu’ils pourraient l’être et nous n’avons jamais effectué de recherche systématique sur ces outils. Donc voilà qu’arrive Andy Sweeney qui a … - Andrew Sweeney a pour formation d’avoir travaillé avec des outils complexes et riches en information. Donc son approche du problème est différente de celle que j’aurais eu moi-même. Il s’oriente vers un SUS3, qui n’est pas la première chose que j’aurais attaquée, mais c’est brillant dans cette situation car nous parlons de comprendre des flux d’information dans un environnement informationnel complexe. L’efficacité est importante parce que nous voulons permettre à l’équipe de l’Expérience Client d’aller aussi vite que possible et de ne pas être bloqués par le fait qu’ils aient l’outil d’information, comme un CRM, trois feuilles de tableur et un bloc note, et là leur flux de travail est juste rompu. Donc poursuivre cette diversité en tant qu’équipe, c’est quelque chose qui je pense, comme indiqué précédemment, améliore le jeu de tout le monde alors que chacun apporte son aide à l’autre. Je veux en apprendre plus sur le SUS avec Andrew.

Steve : Et donc Andrew est … - il s’attache à un nouveau problème. Ce ne sont pas les hôtes ou les visiteurs ? C’est la nouvelle organisation et être capable de fournir une bonne expérience.

Judd : C’est ça, et je pense qu’il… - donc d’une certaine façon on s’attaque à une nouvelle circonscription qui - en tant qu’équipe de recherche – qui concerne les utilisateurs de l’équipe Expérience Client que nous appelons les « crewbies ». Donc nous avons des hôtes et des visiteurs, et des crewbies.

Steve : Répétez le mot, pour voir ?

Judd : Ouais, crewbie. Quelqu’un qui travaille à l’Expérience Client, qui gère le téléphone et répond au chat et aux e-mails. Ils s’appellent eux même les crewbies. Mais, je veux dire, ce sont les gens les plus talentueux, les plus empathiques de la planète. Nous – pas mal de gens qui travaillent ici font des sessions de shadowing4 où ils vont s’assoir avec les crewbies et en quelque sorte observer leur quotidien et nous faisons ça pour acquérir une certaine empathie pour les problèmes que rencontrent les hôtes et les visiteurs avant, pendant et après leurs voyages. Mais les crewbies sont parmi les gens les plus patients, les plus étonnants de la planète, et nous sommes en train de travailler sur de meilleurs outils pour eux.

Steve : D’accord. Donc cela semble être une nette évolution dans quoi – dans comment le travail que réalise votre équipe impacte l’entreprise.

Judd : Oui, on se concentre un peu plus qu’avant sur ce qui est interne à l’entreprise. Je pense que c’est tout aussi fondamental, avec des choses comme faire des recherches rigoureuses, c’est-à-dire comprendre le problème et les besoins des gens en profondeur, et comprendre les solutions potentielles, mais tout ça dans le but de rendre notre entreprise plus efficace et de fournir un meilleur service.

Steve : Donc Andy aura-t-il accès aux designers et aux ingénieurs qui créent ces outils pour les crewbies ?

Judd : Oh oui, il y a une équipe produits entière qui a été créée à Portland et à San Francisco juste pour travailler là-dessus.

Steve : Donc, une fois que vous avez une équipe produit, ensuite c’est – dans votre modèle intégré – c’est là que la demande en chercheurs arrive ?

Judd : C’est exactement ça. Et je pense que je vois beaucoup de choses de la même façon. Donc j’aurais pu embaucher Andrew il y a 6 mois, lorsqu’il n’y avait pas d’équipe produit, mais la raison pour laquelle je ne l’ai pas fait c’est parce qu’il n’y avait pas le cadre nécessaire. Je pense que c’est vouer un chercheur à l’échec. Vous savez, j’aimerais savoir – un chercheur peut faire le meilleur travail du monde, s’il n’y a pas de cadre pour ses recherches et bien il ne sera pas capable, la plupart du temps, d’avoir un réel impact.

Steve : Donc, au risque de reposer une question que j’ai déjà soulevé plus tôt, nous parlions de remplir ou non des cases. Andrew est-il quelqu’un où vous avez vu cette particularité – ce qui a fait de lui un candidat différent ? Un candidat peut-il être différent ? Je ne sais pas. Qu’est ce qui était unique chez lui et qui a contribué à cette diversité ? On dirait que ce qu’il est amené à faire est parfait. Parfait pour l’entreprise, parfait pour lui. Il y a 6 mois vous disiez que le projet parfait pour lui n’existait pas ? Nous avons parlé précédemment de développement des capacités en opposition au remplissage de cases, mais je me demande s’il y a une sorte de nuance qui accompagnerait cet aspect de diversité ?

Judd : Oui, je veux dire – je suppose que je mentirais si je disais qu’il n’y a jamais eu de moment approprié pour rechercher des compétences spécifiques et que c’était toujours du développement général de capacités, de la recherche de grands chercheurs. Ceci est un cas où je me suis dit « Je suis sûr que nous pouvons trouver un chercheur incroyablement doué qui a de l’expérience avec les outils internes riches en information et qui sait les rendre meilleurs, et qui peut comprendre les flux de travail complexes, l’efficacité et toutes ces choses. Je suis sûr que je peux trouver cette personne » et il se trouve qu’on l’a fait. Je pense aussi qu’Andrew a fait pas mal de choses dans sa carrière, sans vous l’emb… - je suis sûr que ça va l’embarrasser – et il a à peine commencé lundi, d’ailleurs mais – il a fait beaucoup de choses dans sa carrière et il serait parfaitement capable de remplir n’importe quelle autre case. Il se trouve qu’il est juste super pour cette tâche.

Steve : Remontons un peu dans le temps. Comme vous l’avez dit, vous êtes là depuis « x » mois, mais vous devez avoir une certaine connaissance de l’histoire. Vous étiez le 10ème, vous avez-dit ?

Judd : Oui.

Steve : Connaissez-vous l’histoire du 1er ? Comme par exemple comment la recherche est devenu un métier pour lequel on embauchait et une tâche ?

Judd : Et bien, la recherche fait partie de l’univers d’Airbnb. L’une des histoires qui se raconte en interne parle de l’un des investisseurs de départ d’Airbnb qui très tôt dans l’histoire de l’entreprise s’est tourné vers Joe et Brian (Brian Chesky et Joe Gebbia, deux des fondateurs) et il a dit la phrase aujourd’hui célèbre chez nous « tournez-vous vers vos utilisateurs » Et donc ils ont passé plusieurs semaines à New York en compagnie de quelques-uns des premiers hôtes sur la plateforme, à comprendre en profondeur ce qu’ils vivaient et en quoi consistaient leurs expériences. Et Joe et Brian sont des designers de formation. Ils étaient à l’école de Design de Rhode Island (RISD) et je pense que le fait d’avoir des designers en tant que fondateurs – avoir, vous savez, deux de nos fondateurs qui étaient des designers a en quelque sorte imprégné cette forme de sensibilité pour le design et la recherche dans le projet. Et ça a été super pour nous en tant qu’équipe parce que je ne … - disons qu’à un certain point tout le monde se sent concerné par une implication à tous les échelons, et je pense qu’il est nécessaire dans toutes les équipes de se sentir concerné par cela. Nous, on est relativement assurés de ne pas avoir à se préoccuper de ça. Nous avons des gens – nous avons un groupe entier de dirigeants qui nous disent « où sont les recherches, voyons un peu les recherches, tournez-vous vers vos utilisateurs ». Donc c’est vraiment ancré dans l’univers de l’entreprise. J’aimerais pouvoir être plus précis concernant l’histoire de cette équipe en particulier, mais honnêtement je ne peux pas.

Steve : Alors je vous prépare, je vais vous poser une autre question spécifique que vous pouvez rejeter et ne pas répondre. Pour ce podcast en particulier, je pense à un sujet implicite – je pense que c’est implicite – c’est l’idée du leadership de la recherche. Et souvent dans une entreprise la trajectoire c’est : on fait entrer un chercheur, parfois c’est un débutant et il travaille plus ou moins pour un designer en Expérience Utilisateur, mais ça dépend de l’industrie. Et puis après dans certaines organisations on se rend compte que c’est une chose spécifique qui a besoin d’être guidé, non pas par un designer, mais par quelqu’un dont c’est le travail. Voilà à mon sens la tendance globale et je me demande, savez-vous quand est-ce que cela est arrivé chez Airbnb ? Quand est ce que la recherche a nécessité un leadership – quand est ce qu’il y a eu l’intégration d’un leadership dans la recherche ?

Judd : Oui, je sais.

Steve : Vous voyez ! Vous disiez que vous ne pourriez pas répondre.

Judd : Je peux répondre à quelques questions. Donc au début de l’équipe il y avait juste un ou deux chercheurs et évidemment l’équipe de design était bien plus petite, et c’était juste une seule grosse équipe. Tout le monde rendait des comptes à Joe Gebbia. Au fil du temps ce qui s’est passé c’est que l’équipe design s’est agrandie. Je pense que l’équipe de recherche, qui était à ce moment-là appelée « Insights », ne s’agrandissait pas au même rythme, et partiellement parce que je pense qu’un… - le fait qu’il soit difficile pour quelqu’un qui n’est pas un chercheur de savoir réellement comment influencer et faire progresser cette organisation. Mais le partenariat était là. Ils faisaient du super travail et puis, au bout d’un moment, Alex Schleifer a débarqué. Alex est notre Vice-Président en design. Il est chez Airbnb depuis un an et demi et il a repris la direction de l’organisation et a presque immédiatement reconnu que nous avions besoin d’un leadership de recherche. Cela lui a pris un moment – ça m’a pris un moment pour le rencontrer et je dois dire tout de même qu’il m’a donné beaucoup de libertés et dit « Judd, je veux que tu conçoives une organisation de classe internationale et je veux t’aider à le faire. De quoi as-tu besoin ? » Et il me donne une masse énorme de contexte et de retours, et il m’installe dans son équipe si bien que ma collègue aujourd’hui, c’est Katie Dill, qui gère en quelque sorte l’organisation des designers, Adrian Cleave, qui gère l’organisation des opérations de conception, mais nous sommes la première équipe d’Alex et il nous traite comme ses égaux, et donc il n’y pas ce sentiment comme quoi même si je suis dans l’organisation du design je n’ai pas le sentiment de – qu’une partie de … - que la recherche soit… - que la seule valeur de la recherche soit de nourrir le design, par exemple. J’ai réellement l’impression que nous sommes des partenaires égaux dans un processus de conception et je trouve que Joe et Alex ont beaucoup de mérite pour reconnaitre que c’était quelque chose d’utile et de précieux à faire avec la recherche dès le début ou presque.

Steve : Donc le poste pour lequel vous avez été engagé était un nouveau poste ?

Judd : C’était un nouveau poste qui consistait à mener l’organisation de la recherche, oui. Et j’étais … - et on m’a donné assez de marge pour choisir comment faire cela. Et ça c’est super. Je n’ai pas toutes les réponses. Vous savez quand il m’a dit ça, je me disais « Super, je ne sais pas comment faire ça mais j’adorerais travailler avec vous et découvrir comment le faire ».

Steve : Cela me semble un facteur clé et je ne sais pas si ça fait juste partie de la culture globale ou si c’est quelque chose qui vous est unique mais – j’ai eu cette conversation avec des gens plusieurs fois à propos de connaitre la solution ou connaitre la façon d’arriver à la solution et le confort avec l’ambiguïté. Vous avez mentionné plusieurs fois dans cette conversation que nous ne savions pas comment faire. Nous n’avons pas la meilleure solution mais nous essayons celle-là.

Judd : Oui. Je pense que n’importe qui – vous savez c’est intéressant car nous parlions récemment de la structure des équipes produit en général et de la difficulté que nous rencontrons, et on se disait « pourquoi n’a-t-on pas encore trouvé ? Ne devrait-il pas y avoir une façon canonique de mettre en place une équipe produit ? » Non. Il n’y a pas de façon canonique de faire cela car chaque entreprise est différente, chaque produit est différent. Les valeurs sont différentes et cela implique différentes choses pour la structure. Et je pense que c’est la même chose pour la recherche, pour le design et pour le produit global. J’ai le sentiment que tout ce que je fais c’est de prendre de bonnes décisions de base en réponse aux réalités de la situation à Airbnb. Pour essayer de construire une équipe de recherche adaptée uniquement à Airbnb et en même temps incarne certaines qualités auxquelles nous tenons réellement – une recherche rigoureuse de classe internationale, des chercheurs parfaitement positionnés à chaque fois. Ce sont en quelque sorte nos deux mantras. Centre d’excellence, parfaitement positionné. Et ce sont des sortes de – il n’y a pas de mode d’emploi pour ça. Je pense que nous appliquons ces principes. Nous les appliquons systématiquement et nous communiquons beaucoup. Et je ne – ça a l’air stupide quand je le dis tout haut, mais je ne connais pas d’autre moyen. Je pense que j’ai été très très dur avec mon équipe et ils acceptent l’idée que le feedback est la chose la plus importante que nous faisons. Le feedback entre nous, le feedback pour moi, mon feedback envers eux. Ça devrait se diffuser très simplement. Et je pense que ça peut être difficile, d’être ouvert, de se concentrer sur les forces plutôt que sur les faiblesses. Etre humble est quelque chose que nous essayons toujours d’améliorer, mais c’est comme ça que j’aborde la tâche de construire une équipe. J’accueille à bras ouverts n’importe quel feedback. Je ne prétends pas avoir toutes les réponses. Je pense juste que j’ai un chemin de principes pour y arriver.

Vision à 5 ans

Steve : Je vais vous poser une question un peu cliché mais je pense que ça suit un peu ce que vous dite. De façon purement spéculative, si nous nous parlions dans 5 ans, disons, que pensez-vous – que pourriez-vous imaginer de l’état de la recherche à Airbnb ?

Judd : Cinq ans c’est long. Et bien, avec un peu de chance nous aurons évolué au point où nous avons ce que nous considérerions comme une couverture totale de la recherche. Pour moi, cela veut dire être fins et agiles, mais avoir un chercheur représenté en quelque sorte à chaque niveau, de la base à la direction et nous sommes loin d’y être pour l’instant. Construire cette capacité prend du temps. Vous voulez aussi le construire de l’intérieur donc nous faisons croitre cette capacité en même temps. Je pense aussi qu’en 5 ans nous serons une entreprise qui aura, depuis longtemps j’espère, embrassé l’idée d’un produit global / local de façon à avoir des équipes produits en place dans le monde entier et que j’ai des chercheurs dans ces équipes et qu’ils soient connectés à San Francisco, et qu’ils fournissent cette chose très difficile à fournir qui est comment créer un produit qui est à 80 – 90 % noyau mais ces 5 ou 10% au bord correspondent à la partie réellement locale et représentent le nerf de la guerre. Donc comment crée-t-on un produit unique Singapourien ou Allemand ou Brésilien pour lequel on représente l’appartenance d’une façon qui résonne culturellement là où on a mis au point notre processus d’intégration où l’on mettrait en évidence différentes propositions de valeurs ? Où nous mènerions des actions spéciales qui faciliteraient la confiance entre les visiteurs et les hôtes et qui seraient uniques au marché Indien par exemple. Et je pense que cela deviendra une organisation globale. Je ne pense pas qu’envoyer des chercheurs d’ici ailleurs dans ces endroits pourra couvrir cela. Donc j’espère qu’avant 5 ans ce sera vrai. Et ensuite la dernière chose que je dirai c’est que j’espère que d’ici là nous aurons créé non pas seulement une organisation produit, mais une entreprise entière complètement menée par la recherche et la connaissance dans laquelle – vous savez je ne pense pas que nous devions faire tout le travail, mais si nous parlons de marketing ou de droit ou de politique ou d’opérations locales ou d’expérience clients il y des questions de recherche dans tous ces domaines et je veux que nous soyons capables d’avoir une organisation où quelqu’un dans mon équipe serait la colle entre chacune de ces équipes.

Steve : Donc porter l’intégration au-delà du produit ?

Judd : Bien sûr. Parce que, je veux dire – par exemple nommez un – c’est un peu stupide à mon avis que la plupart des organisations aient une organisation de recherche produit et une organisation de recherche de marché. Nommez une interrogation produit qui n’ait pas d’influence sur le marketing et la publicité et vice-versa. Je suis sûre que quelqu’un pourrait railler et trouver un exemple, mais ce serait l’exception qui confirme la règle, vous voyez. Je ne dis pas – il n’est pas nécessaire d’avoir une grosse équipe « Kumbaya », mais il y a beaucoup de valeur à dire « regardez, foncièrement, nous ne sommes que des chercheurs qui appliquons notre expertise à différentes disciplines et de différentes manières, travaillons ensemble. » Et de par mon expérience la plupart des organisations ne sont pas comme ça. Donc, je ne sais pas. C’est un but important et ambitieux pour cette entreprise.

Steve : J’adore ça. C’est si bien amené. Donc c’est plus ou moins ça la perspective. C’est une vision très agréable. J’aimerais revenir en arrière. Vous avez mentionné quelques choses à votre sujet – doctorat et d’autres endroits où vous avez travaillé. Peut-être pourriez-vous juste parler de – je suis juste curieux au sujet de certaines parties de votre historique, qu’il soit professionnel, personnel…

Judd : Oui.

Votre parcours

Steve : Revenez en arrière et parlez-nous de ces choses – quelles sont les choses qui figurent dans votre passé, expériences, formation ou peu importe, qui sont réellement présentes pour vous aujourd’hui dans votre façon de voir le monde et le genre de choses que vous essayez de mettre en œuvre.

Judd : Oui, je veux dire, je suppose que si je – c’est vraiment – vous me forcez à être introspectif. Enfin j’ai commencé – quand j’étais en licence ma spécialité était l’anthropologie culturelle et donc j’ai commencé ma carrière en tant qu’anthropologue. Vous savez, très concentré sur la signification la compréhension et la culture écrite, et l’idée de culture et ce que ça signifiait. Et j’ai l’impression que c’est très important pour moi aujourd’hui, surtout dans une entreprise qui se concentre sur le voyage. Ça me donne beaucoup d’empathie. Vous savez j’ai l’impression d’avoir étudié beaucoup de types différents d’épistémologie qui m’ont donné une approche fondamentalement subjectiviste de la recherche qui je pense rend cela précieux – me rend meilleur en tant que chercheur multi-méthodes et en tant que leader dans le sens où je pense que l’objectivité est un mythe. Je pense que tout a cette lentille culturelle ou sociale et tout ce que nous faisons c’est chercher de la confiance et cette confiance se construit à partir d’une recherche multi-méthodes, au travers d’un regard sur les mêmes problèmes depuis différentes directions et perspectives. Donc très bien, si vous faites ça il n’y a pas de territorialité. Il vous faut juste toutes les méthodes. Elles sont toutes imparfaites et elles sont toutes puissantes. Donc je pense que ça a eu une grande influence sur moi. Mon doctorat je l’ai fait sur la psychologie sociale et les systèmes d’information donc je me suis réellement plongé dans la psychologie sociale et les données scientifiques expérimentales.

Qui je pense m’ont beaucoup appris parce que vous savez, j’ai eu une expérience très approfondie avec à la fois le travail ethnographique le plus qualitatif qu’il existe, sur lequel j’ai passé 6 mois lors d’un programme parascolaire d’arts et médias à Bayview, à étudier l’apprentissage informel en dehors de la classe. Et j’ai fait beaucoup de psychologie sociale et données scientifiques expérimentales et je peux concevoir, vous savez je me débrouille pas mal avec les statistiques basiques et je code du R, du Python et du PHP et je peux parler à un ingénieur en code et d’autres choses du genre. Donc je pense qu’avoir eu cette expérience a eu beaucoup d’influence sur moi.

La dernière chose que je dirai c’est que je pense – donc après avoir obtenu ma licence j’ai été en école de cuisine. J’ai passé 6 mois à obtenir un diplôme à l’institut de cuisine française5 à Manhattan puis j’ai travaillé en tant que chef pendant un moment. En fait – je n’étais pas destiné à faire chef. C’était une vie très difficile et je l’ai découvert et j’étais reconnaissant d’avoir quelque chose vers laquelle me retourner, l’anthropologie, et les études supérieures. Mais avoir été un chef, avoir été quelqu’un qui travaille avec ses mains et qui embrasse réellement cette forme de créativité et qui comprenait les saveurs et la réalisation d’une découpe parfaite, comme les compétences de découpe, je pense que ça m’aide un peu à avoir une fenêtre vers le monde du design. Je ne pense pas avoir une super fenêtre comparée à celles des personnes incroyables avec lesquelles je travaille dans l’équipe design, mais je pense que cela me donne une certaine estime de l’artisanat, de l’art, des détails, du difficile mais splendide travail manuel qui crée de la grande cuisine par exemple. Je pense que je peux appliquer ça à la recherche et au design.

Steve : C’est génial. Vous savez on parle des chercheurs comme des sortes de traducteurs et même ça – l’illustration que vous nous faites d’une personne mettant un coup de coude à la personne à côté. C’est en quelque sorte une espèce de traduction et on dirait que les expériences que vous avez vécues vous ont donné plein de vocabulaire pour traduire tout ça et peut être même que la traduction a été une sorte d’ingrédient dans tout ça.

Judd : Je suis d’accord. Je pense – vous voyez récemment j’ai donné une conférence – je ne suis pas sûr de devoir dire ça, mais je vais le dire. Récemment j’ai donné une conférence au « Learning lunch » ici chez Airbnb, à un public majoritairement composé d’analystes, et la présentation – c’est aussi une présentation que j’ai donnée lors d’une conférence sur le design à Philadelphie. Et c’était en gros un discours sur la psychologie sociale. Ça parlait des façons dont nous sommes tous biaisés. A propos des biais de confirmation et des biais à tendance collective. A propos des biais post hoc. Et ce que voulais démontrer c’est que la recherche est humaine car elle nécessite l’humain – les humains. Tous les types de recherche en ont besoin et les humains sont imparfaits. Nous ne pouvons pas contourner nos biais. Le mieux que l’on puisse espérer c’est de les contrecarrer. En trainant avec d’autres. En essayent différentes choses. Et ce discours m’a posé en quelque sorte des problèmes parce qu’il a semblé que ce que je faisais c’était être particulièrement négatif à propos de diverses méthodes, et je l’étais. C’était le genre de discours où on crache sur tout, et c’était mon objectif. Je disais « d’accord, tout le monde passe son temps à vanter les mérites de leur propre méthode et c’est super. Elles sont toutes puissantes, mais elles sont toutes faibles et nous sommes faibles ». Et donc je pense qu’une partie de la traduction / transposition pour moi c’est d’être capable de parler à tout le monde et de se dire « ok, je comprends les avantages de ta méthode et ses faiblesses, et de celle-là, et de celle-là. Donc dépassons tout ça et travaillons ensemble ».

Steve : Et c’est être humain.

Judd : Comment pouvez-vous vous empêcher d’être humain ?

Steve : Voilà. Y a-t-il quelque chose dont nous n’avons pas discuté et que nous devrions aborder ?

La croissance de l’équipe

Judd : L’une des choses que j’ai souvent tête c’est, parce que je construis une équipe de recherche, c’est l’idée de croissance responsable pour une équipe de recherche. Et qu’est-ce que cela veut dire ? Je pense à ça parce que nous grandissons et je veux être sûr que nous faisons ça de la bonne façon. J’ai fait l’expérience des deux types de croissance, responsable et irresponsable. Et je pense que la croissance irresponsable ne le devient pas à cause de l’effectif ou du budget. C’est probablement plus lié à la communication et la culture. Donc les choses que je souhaite promouvoir lors de la croissance de cette équipe chez Airbnb est une transparence radicale et de la communication. Le pire résultat du monde serait si les nouveaux chercheurs regardaient les vieux chercheurs, les managers et moi-même et n’avaient aucune idée de ce que ces gens pensent. Ou « je ne sais pas comment enclencher ce processus de décision et je n’ai pas l’impression d’avoir mon mot à dire ». Comment en est-on arrivé là ? Je pense que c’est faux mais je n’ai pas mon mot à dire. Ok, nul, nul. Il faut éviter ça à tout prix. Donc la façon de faire ça c’est d’être fondamentalement transparent et collaboratifs. Tous, de moi jusqu’en bas, nous parlons de ce que ce que nous pensons et de pourquoi nous prenons les décisions que nous prenons. Nous invitons les autres au feedback et peut être qu’il faut former une commission au sein de laquelle tout le monde peut donner son avis. Ok, les commissions ça a l’air un peu bureaucratique, mais ce que je veux dire c’est que convoquer tout le monde du stagiaire au cadre supérieur à parler de quelque chose du genre « comment devrions nous construire un système de partage des compétences ? » Cool, on peut tous s’impliquer là-dedans.

Ensuite l’autre chose à laquelle je pense c’est qu’une croissance responsable assure le fait que tout le monde puisse avancer dans sa carrière, plutôt que d’avoir l’impression d’être bloqué, l’autre chose à laquelle je pense est une recette pour un chercheur qui n’est pas satisfait et qui a l’impression de n’avoir nulle part où aller. Et donc s’assurer que tout le monde ait l’impression d’avoir une route à suivre est important pour moi lorsque que l’équipe s’agrandit. Cette route, c’est construire sa propre niche, travailler sur son noyau de compétences et les étendre, en prenant plus d’intervenants, en prenant plus d’intervenants séniors. Et il n’y a pas besoin de devenir directeur du personnel pour être un leadeur. Voilà une autre chose qui je pense est importante parce que la gestion des ressources humaines est un ensemble de compétence unique et follement difficile et savant. Et c’est un choix que de se concentrer dessus. Tout le monde ne souhaite pas faire ça. Dans cette organisation il est absolument faux que le seul chemin vers les promotions pour un chercheur soit via les ressources humaines. Cela peut se faire via la direction de la recherche, la direction produit, et pas seulement via les ressources humaines. Et donc alors que l’on s’agrandit je pense que la part responsable est de s’assurer que toutes ces routes pour la croissance sont ouvertes à tous et que tout le monde est au courant qu’elles existent.

Je pense souvent à ça parce que c’est angoissant de penser que nous étions 10 quand nous avons commencé, que nous sommes 17 maintenant. Je ne sais pas, on sera 25 ou 30 l’an prochain ou dans un an et demi. C’est une croissance importante et tout le monde pense que la prochaine personne à franchir la porte sera celle qui changera la culture de l’entreprise, mais je ne pense pas. Mais je pense que nous devons être préparés. Ça doit arriver exprès, pas par accident. Cette forme de croissance, la planification qu’il y a autour. Donc c’est ce que je recherche en faisant les choses ainsi.

Steve : C’est fabuleux. Avez-vous des questions pour moi ?

Pourquoi ce Podcast ?

Judd : Pourquoi faites-vous ce podcast ?

Steve : Pourquoi je fais ce podcast ? Vous savez c’est un peu égoïste je pense. Je suis ici depuis assez longtemps, alors même que le meilleur travail était fait par des vendeurs. Disons juste cela. Et je suis toujours un vendeur. Je déteste le mot vendeur.

Judd : Le mot en « v ».

Steve : On sait tous ce que cela veut dire. Vous savez, des gens qui travaillent en dehors des organisations. Les équipes – les entreprises comme ça n’existaient pas. Les équipes comme ça n’existaient pas. Les postes de direction comme les votre n’existaient pas. Un gros changement a eu lieu ces dernières années où maintenant – je veux dire le genre de visions sur ce que pourrait être la recherche et comment elle pourrait avoir un impact. Vous savez, ça doit être fait à l’intérieur. Ce n’est pas pour dire que – je ne dis pas que mon travail n’a pas de valeur, c’est juste différent. Si vous travaillez avec des organisations le contexte a basculé. Il y a des gens dans ces organisations qui ont des rôles, des titres et des responsabilités qui n’existaient pas avant. Donc ma vie professionnelle a changé. Donc c’est égoïste parce que c’est une chance pour moi d’apprendre des choses que je n’aurais pas apprises autrement. Et vous savez je pense que la plupart du bon travail – peu importe quel pourcentage il représente – des choses étonnantes ont lieu dans les organisations. Donc c’est l’endroit pour en quelque sorte observer et apprendre. Je ne suis pas – j’aime travailler en dehors des organisations donc quand on est consultant ou vendeur on voyage de ville en ville, comme dans Hulk. Vous savez vous vivez ces aventures et ensuite il faut partir, ce qui est une référence un peu obscure pour ce qui n’ont pas vu la série dans les années 80 ou 70 ou peu importe quand c’était.

Judd : Je n’ai pas saisi.

Steve : D’accord.

Judd : J’ai bien aimé, par contre. C’était un bon rappel d’à quel point ce secteur est jeune.

Steve : Surtout sous cette forme. La conversation que l’on a au sujet de l’évolution du design, l’internalisation, les acquisitions etc. J’ai l’impression que la recherche suit le design et qu’elle le talonne deux ans derrière. Mais on a vu des entreprises de recherche être rachetées aussi, pas seulement des entreprises de conception, vous savez, dans l’histoire récente. C’est arrivé. Donc je suis curieux.

Judd : Tout comme il n’y a pas de façon canonique de concevoir une organisation de recherche, il n’y a pas non plus d’information sur comment faire cela à l’extérieur. Et donc pour avoir une ressource où il est possible d’apprendre des gens qui essaient de concevoir ces organisations, c’est très précieux pour la communauté UX donc merci de le faire.

Steve : Bien. Et bien j’ai adoré discuter avec vous. Merci beaucoup d’avoir été un visiteur et d’être mon hôte ici aujourd’hui. Je balance ces mots un peu n’importe comment maintenant.

Judd : Joliment fait. Merci Steve. Ce fut un plaisir.

Traducteur

Cet article a été traduit par We Love Users avec l'accord de Steve Portigal.